Le CV et la lettre de motivation sont-ils vraiment utiles dans le processus de recrutement ? Oui, vous avez bien lu, c’est toujours un débat d’actualité en 2025.
Encore plus aujourd’hui, avec l'évolution des pratiques RH et l'émergence de nouvelles méthodes d'évaluation, il est légitime de s'interroger sur leur utilité réelle.
La réponse ? Ce n’est ni tout noir, ni tout blanc. Et rarement simple.
Leur pertinence dépend de différents paramètres : contexte, niveau de qualification, volume, secteur, puis les attentes des candidats.
Alors pour apporter de belles nuances de gris sur ce sujet, Anaïs a pu récolter les points de vue de 2 expertes :
- Marie-Sophie Zambeaux, experte recrutement, marque employeur, fondatrice de ReThink RH et auteure du livre “Recrutement sous influence - Libérez-vous des biais cognitifs” paru en 2025.
- Iris Delamaire, talent acquisition manager SAP chez Viseo, entreprise experte de la transformation digitale, et membre active du Bureau des Recruteurs, la 1ère communauté de recruteurs toulousains.
Entre constats, remises en question, fondamentaux et bonnes pratiques, le débat est-il (enfin) tranché ? Réponse dans cet article, où aucune vérité absolue en recrutement n’a sa place.
Les candidats face au CV et à la lettre de motivation
Pris dans un mélange d’automatisme, de lassitude et parfois d’incompréhension, de nombreux candidats savent que le CV est exigé, mais ne savent pas pour autant comment l’aborder.
Se démarquer ? Oui mais sans en faire trop.
Être professionnel ? Bien sûr, mais pas rigide non plus.
Et comment être lisible dans un monde digitalisé, avec les ATS, autrement dit des logiciels de recrutement et dans une marée d’avis contradictoires sur l’usage de Canva, entre autres.
La lettre de motivation quant à elle, ressemble plus à un exercice daté, trop formaté, trop scolaire. Les candidats la remplissent par obligation, plus que par envie. Et ils déplorent son inefficacité : peu de lectures, pour encore moins de retours.
Pour les candidats, les questions fusent :
- Mais qu’attendent vraiment les recruteurs ?
- Quelle forme employer ? Quel ton sera adapté ?
- Combien de lignes pour la lettre ? Ou comment éviter les redondances ?
Et quand on sait que 23 % des jeunes candidats ont déjà abandonné une candidature à cause d'une lettre de motivation exigée, d’après l’étude 2024 "Anatomie de l’Emploi" d'Alliance Digitale… la portée de ces outils interpelle.
Pour Marie-Sophie, place à la nuance, et non à la généralisation. Le rapport au CV et à la lettre varie fortement en fonction des profils. Le sujet de la catégorisation des générations étant largement remis en cause, elle estime qu’il est de plus en plus difficile de parler de candidats “au singulier”.
Pour Iris, le retour est un peu plus contrasté. Les juniors ou les profils en reconversion joignent souvent une lettre de motivation via leur ATS, elle ne la demande pourtant jamais. Et là encore, le contexte joue un rôle clé : Iris recrute des profils très courtisés, souvent débauchés plutôt que demandeurs. Demander une lettre de motivation à ses candidats serait limite déplacé.
À ce stade, on en viendrait presque à se dire : et si c’était au recruteur d’écrire une lettre de motivation ?
Côté recruteur : que valent encore ces documents ?
Le CV reste un repère pratique pour les recruteurs.
Pour Iris, Oui, il a un certain intérêt, pour repérer rapidement la trajectoire professionnelle du candidat, ses compétences techniques ou rédactionnelles, mais ce n’est ni indispensable ni irremplaçable.
La réalité côté recruteur, c’est aussi qu’un CV avec une mise en page peu claire ou quelques fautes d’orthographe peuvent suffire à écarter un candidat. C’est là que l’on touche à la limite de l’outil : tout le monde n’a pas les mêmes codes ni les mêmes ressources pour réaliser un CV parfait.
Et pour Iris, c’est inquiétant car le risque est de tomber dans le piège de la discrimination.
Concernant la lettre de motivation, le désintérêt est plus global. En 2023, seules 50 % des entreprises ont demandé une lettre de motivation pour au moins un recrutement de cadre, marquant une baisse de 6 points par rapport à 2022 et de 17 points par rapport à 2021 d’après l’APEC.
Marie-Sophie et Iris partagent alors un constat commun : la lettre de motivation n’apporte rien si elle n’est pas demandée dans un cadre précis. Et elle a encore moins de valeur ajoutée si l’IA a été mal ou grossièrement utilisée.

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En quoi le CV ou la lettre de motivation posent problème en 2025 ?
En 2025, le vrai problème ? L’importance accordée à ces supports !
Comme Marie-Sophie le souligne, CV et lettre de motivation donnent une illusion de neutralité. En réalité, ils reflètent des inégalités.
Un terrain de jeu idéal pour les biais cognitifs :
- L’effet de halo : une photo jugée attirante influence la perception globale.
- Le biais de similarité : des personnes qui partagent vos codes, vos centres d’intérêt ou vos origines sociales pourraient bien être favorisées.
- Le biais d’ancrage : la première information lue comme le diplôme, ou une entreprise prestigieuse, influence la suite du jugement. C’est le cas également du nom, qui peut éveiller un biais ethnique implicite. Des études telle que celle de Marianne Bertrand et Sendhil Mullainathan aux Etats-Unis ont démontré qu’un même CV avec un prénom à consonance "blanche" recevait 2 fois plus de réponses positives qu’un CV identique avec un prénom perçu comme afro-américain.
- Le biais de confirmation : qui consiste à chercher ce qui confirme votre première impression. Négative ou positive.
La lettre de motivation, elle, peut devenir un filtre injuste, favorisant les profils à l’aise avec l’écrit. Ceux qui savent “se vendre”. Mais sont-ils les plus compétents pour le poste ?
En bref, du déclaratif, sujet à embellissement, et sachant qu’1 français sur 2 ment sur son CV, on peut effectivement relativiser sa valeur.
Recruter sur CV et lettre de motivation, OK, mais sous condition !
Premièrement, le CV ne doit être qu’un point de départ, sûrement pas un filtre définitif.
Pour Marie-Sophie, il y a au moins 3 bonnes pratiques incontournables :
- Supprimer ou ignorer la photo,
- Ne pas tenir compte des loisirs non pertinents,
- Ne jamais se baser sur le nom, l’âge, l’adresse.
Vous pourriez prendre les devants et inviter les candidats en fin d’offre d’emploi à supprimer la photo et les hobbies de leur CV par exemple, afin de vous concentrer uniquement sur l’essentiel, à savoir les compétences nécessaires pour réussir dans le poste.
Iris propose un “guide CV” pour les candidats :
- Se faire relire par son entourage,
- Utiliser des modèles et ressources gratuites en ligne,
- Personnaliser les contenus,
- Utiliser l’IA, mais toujours avec une relecture humaine pour garder de l’authenticité,
- Privilégier un mail ou message personnalisé à une lettre de motivation standard.
Une lettre, que Marie-Sophie juge d’ailleurs plus pertinente après l’entretien, sous forme de synthèse : ce qu’on a compris du poste, des enjeux, du périmètre et de ce qu’on peut apporter.
Dans tous les cas, la clé, c’est de donner une logique, préciser - pourquoi pas - des questions déterminées à l’avance. Cela permet de standardiser les réponses et d’éviter de créer une charge mentale inutile pour les candidats.

Recrutement sans CV : 5 alternatives décryptées
S’il est tentant de sauter sur les tendances, comme le recrutement sans CV, il y a toutefois des précautions à prendre. Voici un décryptage de 5 options à explorer, suggérées par Marie-Sophie et Iris, avec leurs atouts, mais aussi leurs limites.
1- Le CV vidéo : la (fausse) bonne idée ?
Un format particulièrement intéressant pour les profils créatifs ou en communication. Original certes, mais risqué si ça devient un passage obligé. Tout est une question de posture. Si le CV vidéo est facultatif, proposé comme un complément au CV, par exemple sous forme de pitch vidéo, il peut permettre à certains profils de se démarquer autrement.
Cependant, il peut devenir un nid à biais survalorisant l’aisance orale, l’apparence, l’énergie perçue. Les conditions, comme pour tout autre format, sont de :
- Définir des critères d’évaluation clairs,
- Fournir des consignes précises aux candidats,
- Tester et mesurer la méthode afin d’observer son intérêt et sa performance.
2- Du profil LinkedIn au portfolio, quand la vitrine ne dit pas tout
S'il est bien rempli, le profil LinkedIn peut presque faire office de CV. Il donne un aperçu rapide du parcours, met en avant quelques compétences, parfois même des recommandations. C’est un bon début. Mais ça reste souvent incomplet.
Le portfolio, lui, est précieux dans certains métiers : design, développement, communication, rédaction. Bien utile, mais non généralisable.
Construire un portfolio ou soigner son profil LinkedIn prend du temps, de l’intention, de la méthode. Et si c’est pour ne recevoir aucun retour ou aucune considération, la frustration peut être énorme. Marie-Sophie ajoute : plus l’effort demandé est conséquent, plus l’absence de réponse est mal vécue.
3- La mise en situation ou la MRS : zoom sur les compétences
La mise en situation, à l’instar de la MRS (Méthode de Recrutement par Simulation de France Travail), a tout pour plaire.
Elle est pertinente pour tester les gestes sur des postes opérationnels (logistique, industrie, grande distribution, etc.), et elle écarte les exigences de diplômes, en se basant à 100 % sur du concret.
Seulement, cette méthode requiert un gros travail en amont pour déterminer les compétences clés à évaluer et sera moins adaptée pour des métiers plus intellectuels ou créatifs.
4- Les tests en tout genre (connaissances / techniques / personnalité)
Les tests peuvent être de bonnes alternatives pour évaluer un candidat, mais ces méthodes sont aussi porteuses de biais, dont celui de désirabilité qui peut s’activer côté candidat.
Iris le rappelle : Un test n’est qu’un indicateur complémentaire à replacer dans une évaluation globale.
Pour le test de connaissance, Marie-Sophie précise qu’il est question d’évaluer ce que la personne connaît ou sait faire en lieu et place de ce qu’elle dit savoir et savoir faire. En complément de l’entretien structuré, qui demeure aujourd’hui LA méthode la plus fiable en recrutement, en se positionnant à la première place des méthodes les plus prédictives, selon une étude parue en décembre 2021 dans le Journal of Applied Psychology.
Elles confirment toutes les deux : les tests doivent être élaborés avec soin, validés par des professionnels formés et bien expliqués, ce n’est pas un piège à candidats.
5- Les formulaires de recrutement standardisés, mais pas déshumanisés
Même questions pour tous. Moins de biais. Comparaison plus facile. Et gros bonus, les recruteurs évitent ainsi les jugements sur la forme.
On peut pousser en procédant à une segmentation des profils et en suivant le type de poste, avec des champs adaptés, demandant la copie du diplôme ou autres documents pour les professions réglementées, des questions techniques ou sur la compréhension du poste à pourvoir.
Mais attention à l’effet “parcours du combattant”. Restez fluides.
CV et lettre de motivation, et si la vraie question était ailleurs ?
Les candidats veulent d’abord de la transparence.
Il revient alors aux recruteurs de réduire le poids du CV et de la lettre de motivation dans la décision. Mais aussi et surtout, de les replacer dans leur contexte. Les considérer pour ce qu’ils sont : des outils parmi d’autres, pas des verdicts.
Au fond, ce qui fait la différence, ce ne sont pas ces documents. Ce sont les bases d’un bon processus, comme le rappelle Marie-Sophie, reposant sur ces piliers essentiels :
- Des critères définis à l’avance,
- Des entretiens structurés pour une évaluation juste,
- Des tests ou mises en situation quand c’est pertinent,
- Un regard croisé entre plusieurs parties prenantes (RH, managers, direction).
Enfin, un retour clair, humain, constructif à l’attention du candidat. Parce que derrière chaque CV, il y a une personne. Et c’est elle qu’on recrute. Et si un CV ou une lettre de motivation peut vous dire d’où il vient, ce qui compte, c’est où il peut aller.
Et pour le savoir, il faut regarder au-delà du papier.